Un lundi matin de juin. Un café du quinzième arrondissement, à quelques minutes à pied du Parc André Citroën. L’horloge indique huit heures et quart. Je lis mon journal et bois un café avant de rejoindre mon bureau pour attaquer une longue et difficile semaine de travail.
Un adolescent passe la porte, suivi d’une vieille dame. Ils s’installent à la table la plus proche de l’entrée, l’un en face de l’autre. Elle enlève sa longue veste beige et la plie consciencieusement sur le dossier de sa chaise. Il garde sur lui son sweat gris à capuche et se contente de déposer son sac à dos au pied de la table.
Ce duo improbable attire mon regard. Que fait ce jeune garçon ici, à l’heure où on s’attendrait plutôt à le trouver dans une salle de classe au collège ou au lycée ? Pourquoi celle qui pourrait être sa grand-mère l’accompagne-t-elle ? Quel lien unit réellement cet adolescent et cette vieille dame ? Pourquoi sont-ils réunis ce matin dans ce bistrot parisien typique ?
Un serveur vient prendre leur commande. Un thé pour elle, un café pour lui. Elle lui demande s’il n’a pas faim, il fait non de la tête. Elle insiste et il commande finalement un croissant. Le serveur répète – un thé, un café et un croissant – et retourne au comptoir.
L’adolescent n’est pas bavard. La vieille dame lui parle mais d’une voix trop faible pour que je l’entende. Il répond par monosyllabes ou en hochant la tête. Il semble triste, ou fatigué, ou les deux.
Mon imagination vagabonde. L’adolescent a peu dormi ces dernières nuits. La vieille dame – sa grand mère, j’en suis de plus en plus persuadé – l’accompagne dans son nouveau collège. Il vit à Paris, chez sa grand-mère, depuis une semaine. Depuis la mort de ses parents dans un accident de voiture.
Le serveur apporte la commande. La vieille dame règle immédiatement l’addition. L’adolescent sucre son café et en boit une gorgée. Il ne touche pas au croissant, malgré l’insistance de sa grand-mère.
L’adolescent a perdu ses parents, la vieille dame a perdu son fils unique. De cette famille, il ne reste qu’eux deux, séparés par cinquante ans de vie et de longs et pesants silences. Le chagrin les réunit ce matin, dans ce café sans âme. La vieille dame porte un regard plein de tendresse sur cet adolescent qu’elle connaît finalement si mal. Lui a le regard dans le vague, il laisse son café refroidir. Ils vont devoir apprendre à vivre ensemble, s’apprivoiser.
L’heure tourne, le travail m’appelle, je règle mon café et me dirige vers la sortie. Je laisse derrière moi un adolescent et une vieille dame, je ne saurai jamais si mes rêveries matinales étaient proches ou éloignées de leur réalité.
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