La barrière décennale

Lorsqu'on a les savoirs techniques requis, utiliser quotidiennement un appareil cinq ans après sa commercialisation n'est pas très compliqué malgré quelques ennuis par-ci par-là. Qu'en est-il de l'utilisation dix ans et plus après mise sur le marché ?

Ce n’est pas les raisons qui manquent pour garder longtemps ses périphériques électroniques. Pour les conserver deux ou trois ans, facile, il suffit la plupart du temps de ne pas céder à la tentation d’acheter un nouveau modèle pour remplacer le sien. Pour passer les cinq ans, c’est un peu plus compliqué : on va très certainement devoir faire des réparations ou remplacements courants, souvent liés à la batterie ou à la mémoire. Les problèmes logiciels, notamment dus au manque de support du fabriquant, vont commencer à se ressentir. Puis vient la barrière décennale. Celle où il faut procéder de nouveau à des réparations déjà faites. Où on ne trouve plus les pièces de rechange en ligne. Où on va subir des pannes tout simplement irréparables. Où les problèmes logiciels deviennent une contrainte au jour le jour. Où trouver de l’aide sera moins facile parce que oui bah en même temps ton truc il a bientôt 12 ans faut pas abuser non plus : jouer le jeu de la longévité perd soudainement l’apparence sociale de la vertu pour être remplacé par l’obsession fatigante.

Partie 1 : Thinkpad E520

Le Thinkpad E520 est un modèle d’ordinateur portable commercialisé à partir de 2011. C’est justement cette année que j’en ai acheté un, neuf. Durant les premières années d’utilisation, je l’ai beaucoup utilisé pour jouer à des jeux vidéo, notamment certains très lourds, comme GTA 4. Il suffisait de faire des (grosses) concessions dans les paramètres graphiques. Cette possibilité s’est vite éteinte après environ 3 ans. Mais qu’importe, il a continué à me servir pour des usages professionnels, informatiques, et multimédias.

Photo globale d’un Thinkpad E520

Passer la barrière des 5 ans n’a pas été très dur, surtout lorsqu’on est pas forcément attiré par les dernières technologies qui sortent entre-temps. C’est autour ou peu après ce cap que j’ai dû :

  • d’abord remplacer la batterie, car celle d’origine ne deviendra capable de tenir que quelques dizaines de secondes. Opération très classique lorsqu’on chercher à garder son périphérique mobile plus longtemps que la moyenne. Et opération simplissime s’il en est sur un Thinkpad à batterie amovible. Au final le plus dur sera de trouver une batterie qui n’est pas une contrefaçon. Tâche où j’ai échoué : malgré un vendeur de bonne apparence ayant gagné ma confiance sur Amazon, j’ai fait l’acquisition d’une batterie qui usurpera grossièrement au final des cellules de Sony. Qu’importe, elle permet à l’ordinateur de tenir deux grosses heures, ça m’ira.
  • changer le disque dur, l’original commençant à présenter un nombre très inquiétant de mauvais secteurs. Opération également très courante dans la longue conservation des périphériques. Les disques durs (surtout le principal de la machine, où s’enregistre toutes les opérations) ne sont pas réputés pour bien traverser de nombreuses années. Ici aussi le remplacement sera simple, il s’agit d’un disque SATA en deux pouces et demi à déclipser après avoir dévissé une plaque. On le remplacera par un SSD.
  • Rajouter de la RAM. Par orgueil j’ai essayé de tenir le plus longtemps avec 4 Go. Ça a commencé à être très dur quand Firefox à lui seul s’est mis à prendre 1,5 Go; Thunderbird 500 Mo. On rajoute le noyau, quelques utilitaires et services à droite à gauche : il vous reste 1 Go, vous ne pouvez plus lancer de gros logiciel. Pas grave, j’ai un port de RAM disponible, je mets une barrette de 4 Go supplémentaire, problème résolu.
  • Le lecteur optique m’étant complètement inutile, je l’ai remplacé par un emplacement pour disque SATA 2,5 pouce supplémentaire. Pas nécessaire mais appréciable.

Puis j’ai heurté la barrière décennale.

  • Premier soucis, pas très grave mais assez ennuyant : la définition de l’écran, 1366*768, a commencé à devenir très inconfortable. Sur les logiciels à l’interface chargée, tels que Thunderbird ou certains jeux vidéo, ça a pu être très ennuyeux. J’ai par ailleurs eu l’impression que les développeurs ont commencé à ne plus prendre en compte ce genre de définition, partant du principe que tout le monde avait du 1080p à partir d’un certain moment. En tout cas, installer une dalle aux caractéristiques différentes de celle d’origine est impossible sur un ordinateur portable.
  • Ma deuxième batterie est morte. Pas très étonnant, en avoir complètement usé deux en dix ans est plutôt normal. Cependant, lorsqu’on en cherche une pour un modèle qui a dix ans, le marché est radicalement différent. La demande est certainement trop petite pour avoir une offre solide; il ne reste donc que des sales produits sans marque ou des contrefaçons qui essayent à peine d’inspirer confiance. Cela vaut-il vraiment le coup de racheter une batterie si elle pose de nouveau problème d’ici peut-être deux ans ?
  • La présence de légères corruptions à l’image, clignotantes, de temps en temps. Soucis pas rédhibitoire mais fatiguant, et dû aux pilotes vidéos plus supportés.
  • On en vient enfin à l’épée de Damoclès : la structure autour de l’écran, en plastique, qui lâche et se fissure. À force d’ouvertures et de fermetures de l’écran, la coque a commencé à se rompre proche de la charnière, là où il y a sans doute le plus de pression lors de ces mouvements. Problème particulièrement embêtant puisqu’à chaque ouverture d’écran, l’écartement de ces fentes menace de donner lieu à une rupture totale. Impossible à réparer, sauf à racheter le même modèle d’occasion «pour pièces», et changer l’intégralité de l’habitacle. Comme ce soucis provient certainement de la qualité du matériau utilisé pour la coque à l’origine, comment être sûr qu’utiliser une autre, officielle, m’emmènera plus loin sans présenter le même défaut ?

Fissure en bas à gauche de l’écran de mon Thinkpad

Fissure en bas à droite de l’écran de mon Thinkpad

C’est ici, après douze années d’utilisation, que j’ai dû m’avouer vaincu, et partir à la recherche d’un nouvel ordinateur d’occasion. Celui-ci pourra éventuellement servir en guise de serveur bien peu puissant, et auquel il faut faire très attention lorsqu’on l’ouvre.

Partie 2 : Sony Xperia Z5 compact

Photo globale d’un Xperia Z5 compact

Le Xperia Z5 compact est un téléphone commercialisé par Sony en 2015. J’en ai acheté un d’occasion en 2019. En fait, l’utiliser 5 ans après sa mise sur le marché n’a pas posé de gros problème particulier. On peut cependant citer le manque de support et de mises à jour officiels. Mais au quotidien, ça se passait bien. Puis, à l’approche de la décennie de vie, ça a durement basculé.

  • la mémoire vive a commencé à sérieusement manquer. Ce modèle en a 2 Go. Je pouvais alterner entre deux grosses applications sans trop de soucis, puis, à partir d’un certain point, je ne pouvais en avoir qu’une seule, l’autre se faisant tuer par manque de mémoire. C’était certainement dû à la demande croissance des logiciels au fur et à mesure des mises à jour. Plus possible de faire des allers-retours rapidement entre Firefox et OrganicMaps par exemple.
  • le microphone s’est mis à avoir beaucoup de mal à capter ma voix. De même que le haut parleur frontal, utilisé lors des conversations, a vu son volume baisser énormément. Autant dire que les appels téléphoniques sont en fait devenus impossibles à un certain moment. Je n’ai jamais su d’où venaient ces soucis.
  • un jour mon téléphone a complètement planté jusqu’à extinction totale. J’ai découvert par la suite, en récupérant tout le contenu de la mémoire flash, que la table des partitions et que les entêtes de celles-ci avaient disparu. Je n’ai jamais réussi à savoir ce qu’il s’est passé, le plus probable est un bogue d’un composant côté noyau, ou un problème matériel de flash. J’ai à plusieurs reprises eu des redémarrages de la sorte, sans perte de mémoire ces fois-ci. Mais l’impression de fiabilité que me laissait mon téléphone a pris un sérieux coup à partir de là.
  • il fallait que ça arrive, j’ai un jour fait tomber le téléphone sur du goudron. Il est tombé sur sa face arrière, l’écran a été épargné mais sa plaque arrière a été fissurée. Rien n’empêchant son utilisation au final. Mais cela a commencé à poser problème des semaines après. Comme beaucoup de modèles de téléphone aujourd’hui, le Xperia Z5 compact n’a pas sa coque clipsée ou fermée par des vis : elle tient grâce à une glu spéciale appliquée en usine. Si vous voulez l’ouvrir pour faire de la maintenance, il faut d’abord la liquidifier avec un décapeur thermique ou à défaut un sèche-cheveux. Après, il faut vous même réappliquer cette colle spéciale que vous vous aurez procuré sur internet. La colle appliquée à l’usine vieillit et perd de son efficacité à l’approche de la décennie d’utilisation. Lorsque la plaque arrière est fissurée, les effets sont encore plus sévères : il y a du jeu et elle menace constamment de se désolidariser, ne tenant plus que par quelques zones de glu encore effectives. Réappliquer une nouvelle couche de colle fonctionne temporairement, car maintenant que la plaque peut se plier, le produit est au contact de l’air, et son adhérence devient très limitée.

Vue de dos de mon Xperia Z5 compact, avec une fissure Plaque arrière de mon Xperia Z5 compact qui dépasse, à côté de la prise jack Plaque arrière de mon Xperia Z5 compact qui dépasse, à côté de la prise micro-usb

Bref difficile de s’accommoder de ces problèmes insolvables. La dépendance accrue qu’on a envers nos téléphones intelligents rend, face à ces soucis, le changement du périphérique complet urgent.