Être humain le weekend

Distinguer états et propriétés dans l’identité

Ce texte est en réponse à une discussion sur l’identité, initiée par la lecture de ce petit article d’une étudiante en droit à l’Université d Montréal.

De ma part je relance la discussion sur être/faire avec une réflexion que la psychologie est en train de vulgariser: le passage de -e.g.- "il est schizophrène" à "il est atteint de schizophrénie" (il s'agit avant tout d'une personne!!! On parle avant tout d'un être humain, vivant qui souffre!!)

J’ai déjà eu cette réflexion sur l’identité il y a quelques années. Je réagissait surtout en constatant l’obligation de certains adultes à travailler. Ceux-ci sont parfois contraints d’accepter un emploi qu’ils n’aiment pas, mais qui rémunère un peu plus (comme travailler pour une banque) et qui leur donnera les moyens de faire ce qu’ils veulent en-dehors de leur travail (aller au théâtre, au musée, faire du plein-air le weekend, s’impliquer dans une cause communautaire).

Le travail est en quelque sorte un contrat dans lequel plusieurs personnes sont conscientes de suspendre leur identité, le temps de faire de l’argent entre 9 heures et 5 heures. Lorsque les adultes sortent des tours à bureaux, ils parlent d’autre chose que du travail. Ce sont des personnes différentes. Elles ont enlevé leurs masques (même si elles sont encore habillées proprement – chemise, veston, talons hauts). Elles redeviennent tranquillement elles-mêmes. Dès qu’elles arriveront à la maison, elles laisseront leur valise dans l’entrée, embrasseront leurs enfants, enlèveront ces costumes stupides pour mettre de vrais vêtements (confortables et décontractés).

Toutes ces personnes savent que le travail, ce n’est pas ce qu’elles sont. Tout le monde a un travail. On s’en fiche. Ce qui compte, c’est la personne que tu es le weekend, lorsque tu vas chercher tes enfants après leur sport préféré. Tu rencontres d’autres papas et mamans comme toi. Vous parlez de politique, du bon souper de la veille, de votre dernière balade en montagne, de vos prochaines vacances. Vous vous fichez mutuellement et respectivement de vos emplois (même si vous gagnez chacun un montant satisfaisant d’argent). C’est le weekend, et vous êtes de vrais êtres humains.

Certains se définissent par le travail, d’autres non. La différence est flagrante chez ces personnes : lorsque deux adultes se rencontrent, la personne pour laquelle le travail est important va rapidement commencer à parler de son emploi : à quel point elle est débordée (pour se mettre en valeur et montrer à quel point elle est importante, accessoirement), les derniers épisodes de journées folles (elle travaille très fort), ses bons coups de la semaine (exemples de son succès). Pendant ce temps, l’autre humain l’écoute poliment, mais n’a pas particulièrement envie de parler de son propre emploi.

Ceci dit, je respecte tout à fait ceux qui exercent une profession qu’ils ont choisie et qui s’y impliquent beaucoup (comme certains professeurs). Pour ce genre de personne, il n’y a pas de scission schizophrénique entre l’être humain du weekend et l’être humain professionnel (que je respecte aussi, pour les raisons mentionnées plus haut) : vie et œuvre forment un tout fusionnel, comme un bel élan ininterrompu.

Pour ma part, je souhaite être le travail de ma vie. Je ne souhaite pas être contraint de porter un masque au travail (même si j’aime jouer à ce genre de jeu – tant que j’ai le contrôle sur mes adversaires et que j’ai la liberté de quitter la scène à tout moment). La vie est pour moi un grand rêve lucide, un rêve unique que j’écris chaque jour au travers de mes rencontres, mes discussions, mon travail, mes lectures, mes idées. Je ne veux pas mettre ma vie en suspens simplement parce que je dois gagner de l’argent (je déteste me soucier des limites matérielles).