Troisième partie : Rencontre
Les semaines qui suivirent furent bien ancrées dans une routine déjà installée. Anaïs ne fit que de rares promenades pour profiter d’un peu d’air frais. Un peu trop frais. A son soulagement, la rivière avait repris son aspect normal. Aussi normal que pouvait l’être une rivière nouvellement gelée en permanence. Mais la glace avait bien les reflets habituels du soleil et de la végétation. Le bleu profond qu’Anaïs avait cru apercevoir était bientôt oublié dans ses souvenirs. Elle fut aussi soulagée de voir de nouveau les canards, adorables volatils qui quémandaient du pain sur les bords de la rivière, leurs plumes gonflées pour résister au froid.
Car si une chose était bien nouvelle dans la routine, c’était le froid glacial qui s’était installé. Après de petites recherches, elle apprit que le froid s’était imposé non pas seulement sur la ville, mais sur le pays entier. Des températures moyennes qui descendaient au fur et à mesure, et qui dans certains endroits atteignaient des records comme étant l’hiver le plus froid depuis des décennies, voire jamais enregistré. En ligne, les commentaires étaient séparés en deux parties : d’un côté, les personnes qui s’inquiétaient d’un refroidissement global lié à une possible fonte des glaces. De l’autre, les personnes qui râlaient sur le verglas, ou se délectaient de la neige qui offrait sa présence dans quelques autres endroits. Anaïs ne suivait pas d’enfants sur les réseaux sociaux, mais elle imaginait sans peine la joie qu’ils devaient vivre avec les jours d’école annulés.
Dans sa vie personnelle, rien de très nouveau, si ce n’est qu’elle prenait de multiples douches chaudes chaque jour, jusqu’à trois ou quatre si elle se sentait mal. Le chauffage d’appoint fonctionnait également bien plus souvent. A son plus grand soulagement, l’électricité et l’eau chaude étaient déjà inclus dans la facture mensuelle. C’était une inquiétude de moins. Des inquiétudes elle en avait suffisamment. Le dernier rendez-vous avec son médecin ne s’était pas très bien passé. Quelques commentaires déplacés de sa part l’avaient mise en colère vive et elle redoutait la confrontation à la prochaine séance. Elle avait aussi de nombreux dossiers à remplir pour bénéficier des aides sociales. Assez de stress pour un mois qui n’avait pas besoin de ça.
Noël approchait. Cette période de réjouissance pour petits et grands n’en était pas une pour Anaïs. La gestion des liens sociaux dans la famille était une compétence qu’elle n’avait pas, et elle redoutait les messages lui demandant ce qu’elle avait prévu pour la fin d’année. Comme à chaque fois, elle inventerait une excuse et resterait sûrement seule chez elle, buvant une soupe chaude et échangeant des messages avec ses ami-es en ligne. C’était toujours mieux que de revoir certains membres de sa famille.
Pour autant, cette année, elle espérait pouvoir sociabiliser un peu. Elle s’était inscrite sur des sites de rencontres dans l’espoir non pas forcément de rencontrer une âme sœur comme dans un conte de fée, mais plus pour partager quelques verres avec des personnes respectueuses. Et si elle avait de la chance, se retrouver à boire une boisson chaude dans le confort d’un lieu de vie plutôt que se retrouver dans un bar aléatoire. Le bruit, les mouvements, la foule, tant d’éléments qui la faisaient rapidement paniquer. Le calme d’un appartement bien chauffé, c’était à ses yeux bien plus accueillant.
Outre les rencontres par le biais de sites et d’applications, elle restait en contact avec quelques connaissances. Tant de personnes avec qui elle aurait apprécié de partager intimité et moments de tendresse, si elles n’habitaient pas si loin. Des amies parfois de passage, mais jamais pour la fin d’année. La majorité des gens qu’elle connaissait avaient encore des obligations pour les fêtes. Elle s’estimait heureuse de pouvoir y échapper, même si la solitude lui pesait.
Au moins, elle n’était pas vraiment seule. Lily lui tenait compagnie presque en permanence, et était toujours là quand nécessité se faisait. Le reste du temps, elle dormait. De la même manière, c’était parfois Anaïs qui dormait et Lily qui prenait activement le relais. L’état de sommeil était toujours léger, qui que soit celle endormie. Il leur était facilement possible de se réveiller l’une l’autre. Pour parler d’une découverte, râler, ou partager un moment d’intimité. Elles respectaient cependant des temps de repos. Le sommeil c’est important.
De temps à autres, quand les ombres se faisaient trop inquiétantes, ou quand les passants dans la rue se faisaient trop gênants, Lily prenait le relais. Avec une force sans égale et une détermination implacable. Heureusement pour Anaïs, ces moments de panique se faisaient plus rares depuis quelques mois. Les crises s’étaient calmées et lui laissaient un peu de répit. Elle imaginait que cela ne durerait sûrement pas. Mais elle s’accrochait à l’espoir que tout irait de mieux en mieux.
Pour avancer, toujours saisir chaque espoir qui se présente.
La moindre lueur dans les ténèbres la guidait.
Chaque main tendue l’aidait à se relever.
Elle avait réussi à faire quelques courses. Des courses qui lui apportaient plus de diversité que des pâtes et pommes de terre. Quoiqu’elle aimait vraiment les pommes de terre. Il y avait des milliers de manière de les cuisiner, et tant qu’elle ne les avait pas toutes faites, elles conservaient un attrait certain à ses yeux. Quelques légumes frais lui faisaient du bien. Et des boissons végétales pour le petit déjeuner. Surtout pour atténuer l’amertume du café. Et pouvoir pratiquer son astuce secrète : refroidir la boisson très légèrement, suffisamment pour la boire encore très chaude juste après préparation. C’était son astuce secrète à elle. Peut-être qu’elle n’était pas la première à l’inventer. Mais elle en était fière.
Une des épreuves de la fin d’année était le rendez-vous du 23 décembre. La veille des fêtes. Et cela la paniquait légèrement. Pas qu’elle ait quoique ce soit de prévu. Mais les jours de fêtes lui étaient particulièrement difficiles à vivre. Alors un rendez-vous la veille. Et avec son médecin en plus. Il voulait s’assurer que tout allait bien pour la fin d’année. Surtout après sa dernière colère. Et elle n’avait pas réussir à dire non. Dans son esprit, elle cultivait l’idée qu’elle irait mieux si elle n’avait pas à le voir aussi souvent. Mais son traitement était relativement récent et cela la motivait à garder un suivi rapproché.
Le mardi 22 au matin, elle était prête à s’aventurer en ville. Les courses étaient faites, mais la solitude lui pesait. Les rencontres sur les applications s’étaient révélées mitigées. Elle avait échangé quelques mots avec des inconnu-es qui lui paraissaient agréable à côtoyer. Mais personne n’était disposé à la voir avant l’année qui suit. Cela lui faisait ça de moins à organiser. Ça compensait en petite partie les regrets qu’elle avait à passer les fêtes seules. Encore. Une sortie lui ferait sûrement du bien.
Elle comptait marcher vers le centre-ville, esquiver le marché de Noël, et se diriger vers la librairie. Elle adorait les livres. Ils lui apportaient un carburant constant pour son imagination. Certes, son imagination n’avait sûrement pas besoin de ça. Mais elle aimait lire, depuis très jeune. C’était plus difficile à présent, mais elle gardait le plaisir de feuilleter quelques pages avant de s’endormir au chaud dans ses couvertures. Et simplement errer dans les rayons de la librairie lui faisait beaucoup de bien au moral. C’était donc une sortie qu’elle s’offrait, et avec ça elle espérait revenir avec un petit quelque chose qui lui remonterait le moral.
Depuis ses dernières escapades, elle s’habillait chaudement. Le grand manteau rouge était étonnamment protecteur contre le froid. Et Lily lui avait depuis longtemps donné son accord pour le porter sans lui demander la permission. Deux paires de collants l’une sur l’autre lui permettaient d’affronter le vent glacial. Elle ne se résolvait toujours pas à mettre de pantalons. Trop de mauvais souvenirs, et elle détestait l’image que ça lui donnait. Une grosse robe chaude ferait l’affaire. Une écharpe qui lui remontait jusqu’aux oreilles, et de nouveaux gants que lui avait envoyé une amie. Elle était prête à affronter le froid.
Porte ouverte. Escaliers descendus. Le dehors. Le froid. Mais un froid soutenable grâce à son armure. Anaïs prend le chemin du centre-ville, longeant la rivière et bifurquant au niveau du pont. La montée est traitre à cause du verglas, mais rien d’insurmontable. La ville est animée, très animée. Les derniers achats de Noël. Les familles qui emmènent leurs enfants au marché. Les lumières et guirlandes allumées. Les décorations aux fenêtres. Une ambiance qu’elle aime bien. Pas autant qu’Halloween, mais ça remplit l’objectif d’habiller la pierre grise de couleurs plus diverses.
Les contours de la place commencent à se dessiner dans une brume légère. D’où elle en est, Anaïs reconnait le marché de Noël, surtout par les cris, rires et pleurs des enfants. Au fur et à mesure qu’elle s’approche, les nombreux stands se dessinent plus clairement. Le marché de Noël avait ici un grand avantage par rapport à ceux qu’elle avait connus par le passé. Chaque stand était différent des autres, au moins en partie. Certains étaient tout en bois et arboraient de nombreuses décorations classiques de l’ambiance de Noël. Sucres d’orges, petits sapins, étoiles qui clignotent, petits bonhommes de neige. Sans oublier les fameuses décorations de père noël, présentes en de nombreux exemplaires. Mais d’autres stands avaient une touche plus personnelle. Un stand qui vendait du pain d’épice se démarquait non pas par des décorations, mais par son petit habitacle en bois, façonné entièrement comme une part de gâteau. A ses côtés, le stand de vin chaud fumait joyeusement et Anaïs se sentait attirée par la boisson réconfortante et épicée. Il était décoré par une habile peinture comportant de nombreux personnages qui se souriaient mutuellement, un verre à la main. Un peu plus loin, une patinoire de fortune occupait autant les enfants que les parents. Les premiers s’y amusaient énormément, mais les adultes semblaient beaucoup plus occupés à essayer de limiter les chutes et collisions.
La place exerçait un attrait fort de par les odeurs qui s’en dégageaient. Les friandises et pâtisseries, les verres de vin et de chocolat chaud. Seule une partie de la place dégageait une odeur de gras cuit qui donnait des haut-le-cœur à Anaïs. Elle aurait désiré pouvoir se poser sur un banc avec des personnes à qui parler. Rire, s’amuser, se câliner et se réconforter dans le froid de l’hiver. Cependant, elle avait décidé de ne pas trop s’approcher. La foule la faisait facilement paniquer, et c’était prendre soin d’elle que d’éviter trop de contacts avec les gens inconnus. En plus de ça, après réflexion, elle ne pouvait vraiment pas se permettre de prendre à manger ou à boire avant de rentrer dans la librairie.
La jeune femme esquive donc précautionneusement la place et la foule, emprunte une rue piétonne, et se retrouve bientôt devant un large complexe commercial. A l’intérieur, de nombreuses boutiques de livres, d’art, et de jeux. La librairie se trouve plus loin dans le complexe, qui ressemble surtout à un grand couloir couvert bordé de différents magasins. En passant devant les magasins de jeux, Anaïs esquive un sourire. Elle aime bien s’y aventurer de temps à autres quand elle est de passage. Regarder quels sont les nouveaux jeux qui occupent les personnes de tous âges. Mais il faut à chaque fois résister à l’idée d’acheter de nombreuses figurines à l’effigie d’animaux de tous milieux. Anaïs aime énormément les animaux, et avoir de petites figurines les représentant lui procure beaucoup de plaisir. Pour autant, elle en a déjà suffisamment disposées sur son bureau pour ne pas en acheter de nouvelles. Elle en a aussi sur une petite table près du lit. Majoritairement des vaches de toutes les robes imaginables. Enfin presque.
Elle arrive devant la librairie. Voir la façade lui procure un certain soulagement. Le magasin s’étend sur deux étages. Au rez-de-chaussée on trouve surtout des affaires de papeterie. Et c’est à l’étage qu’on trouve les nombreux livres. Avec de multiples allées pour séparer les différents genres littéraires existants. Anaïs est positivement enthousiasmée de cette sortie. Le magasin est calme. Toujours. Les gens ne lui adressent jamais la parole et elle peut prendre le temps de regarder tout ce qui l’entoure. Les crayons de couleurs ! Autant de petits arcs-en-ciel mis dans des boites et qui n’attendent qu’une personne pour les libérer sur autant de feuilles et de dessins ! Et les stylo ! Tout autant de plumes modernes pour écrire des histoires et les partager !
Son esprit vagabonde au gré de son imagination, visualisant autant d’aventures extraordinaires écrites et dessinées qu’il en est possible. Puis, son attention se tourne vers l’escalier. Juste devant, se trouvent de nombreuses affiches à vendre. Des images tirées des œuvres de fictions plus ou moins connues. Elle les feuillette un peu, faisant tourner les grandes pages qui la dépassent. Une en particulier attire son attention. Un énorme dragon dessiné en seulement quelques traits dans un style manga, qui boit dans une tasse ce qui semble être un chocolat chaud ? Et il y a plein de petits personnages autour qui semblent heureux de la scène. L’affiche est dans des tons pastel et respire la joie et l’apaisement. Anaïs n’était pas venue pour ça, mais son esprit est maintenant décidé : elle ne repartirait pas sans l’affiche. Le numéro pour la retrouver dans les bacs ? 12. Tout au début. Il en reste 2 ! Elle hésite à prendre les deux et se ravise. Si une autre personne voulait l’affiche pour le sentiment joyeux qu’elle partage, elle comptait bien la laisser à cette personne. Un peu comme une autre Anaïs ! Ce serait très triste de la priver d’une telle affiche. Elle aimait bien imaginer une autre personne qui y serait aussi sensible.
L’affiche dans une main, elle monte à l’étage. Elle est venue voir les livres. Dès qu’elle arrive en haut, elle est accueillie par la vision maintenant familière des nombreux étalages de romans. Un peu plus loin on voit les rayons des bandes dessinées, qui regorgent d’images hautes en couleur. Les romans sont plus ternes, la moitié a une couverture unie et un titre souvent doré. Cela doit être la fantasy. L’autre moitié a une couverture avec un dessin. Elle aime énormément regarder l’aspect extérieur des livres. Ils ont été choisis pour une raison ! Quelqu’un avait du se dire que ça reflétait au moins en partie l’intérieur de l’œuvre. Elle aimait à se demander ce qui motivait tel ou tel choix esthétique.
En errant parmi les étalages, elle reconnait de nombreuses saga dont elle a entendu l’existence mentionnée. On lui en avait recommandé tellement ! Aussi, elle retrouve des livres de son enfance. Certains ont perdu beaucoup de leur charme. Quelques histoires, avec du recul, véhiculent des messages toxiques et irrespectueux, parfois même violents. Elle aime les livres aux messages comme aux intentions qui célèbrent la diversité et l’imaginaire. D’autres volumes par contre, qu’elle a lu étant plus jeune, gardent leur charme et gagnent même dans son estime pour être aussi positifs et dédiés aux enfants ! C’était ce qui lui avait permis de tenir. Les livres avaient longtemps été ses seuls amis. Et de très bons amis, qui lui avaient fait découvrir des mondes entiers peuplés de créatures colorées et d’intrigues haletantes ! Aujourd’hui encore elle abordait les ouvrages comme autant de compagnons pour la vie. Elle en prenait soin, était heureuse de les partager et de les faire connaître.
Le temps passe. Il ne s’écoule plus en minutes ni en heures, mais en découvertes et réflexions. Après avoir fait tout le tour de la librairie, Anaïs recommence, pour voir ce qu’elle a pu manquer. Les vendeurs et vendeuses la laissent faire, ils ont l’habitude de la voir maintenant. Anaïs va demander de l’aide quand elle ne trouve pas ce qu’elle cherche. Cette fois-ci cependant, elle ne cherche rien, mais se laisse aller aux découvertes. Errer dans les livres lui avait manqué. La liste de ce qu’elle veut lire est bien plus grande que ce qu’elle peut s’offrir, mais au final elle arrive à être plus raisonnable. Trois livres. L’affiche. Et quelques crayons. Avec quelques stickers. Et du papier pour des origamis. Voilà. Pas les petites peluches sur les présentoirs. Pas les peintures. Pas de nouveau carnet pour écrire. Elle en a déjà trop. C’est bien comme ça.
Elle règle. Tout se passe bien. Un sac pour tout mettre. L’affiche dépasse un peu. Cela la dérange légèrement. Peu importe. Elle aura bientôt un adorable dragon sur ses murs. Parfait. Et les livres ! Elle a pu en retrouver un qu’elle désire lire depuis longtemps. Une histoire de renards. Cela lui fera du bien. Les deux autres romans sont nouveaux, mais elle a entendu dire du bien de ces derniers par le biais des réseaux sociaux. Elle a confiance qu’ils la feront sourire, beaucoup. Et sur ces pensées elle reprends le chemin vers son lieu de calme, de réconfort, et de sécurité. Fatiguée, mais satisfaite.
La sortie du complexe commercial ramène avec lui quelque chose qu’Anaïs avait était très rapide à oublier une fois dans la librairie. Le froid. Le chauffage lui manque. Ça pourrait être pire. Elle est chaudement habillée. Le moral ardent à l’idée de pouvoir rentrer chez elle avec ses emplettes. En plus, étonnamment, la sortie s’est extrêmement bien passée jusque là ! Mieux qu’elle ne s’y était attendue. Elle se sent encore en forme, et galvanisée par sa performance.
“Tu es sûre que tu es en état ?
-Je me sens bien, Lily. Confiante. Forte.
-Je n’en doute pas, ta confiance me réchauffe comme un brasier.
-J’ai envie d’aller au marché.
-N’en fais pas trop. Je veille, si tu as besoin de moi.”
Lily était toujours pleine de précautions. Souvent à raisons. Mais pour une fois qu’il faisait bon de sortir ! C’est l’occasion d’en profiter. Juste une tasse de chocolat chaud. Et peut-être un petit bout de gâteau pour aller avec. Du pain d’épice. Ça sera parfait. En route.
Le chemin jusqu’au marché se passe bien. Toujours extrêmement animé, adultes et enfants bondent la place. Anaïs se dirige vers le petit abri en bois, qui protège du froid une personne à la barbe grisonnante, préparant de multiplies boissons chaudes pour un groupe patient d’adultes. Elle parvient à comprendre des bribes de conversations, à propos de projets pour la fin d’année. Elle essaye d’occuper autrement ses pensées, écouter des conversations où elle n’est pas la bienvenue ne la met pas particulièrement à l’aise. La file met un peu de temps à se dissiper. Les cris d’enfants lui arrivent aux oreilles et si elle ne leur en veut pas, les voix stridentes la mettent mal à l’aise. De l’anxiété bourgeonne en elle. Anaïs essaye de s’en détourner. Mais la multitude de bruits ajoute à la charge qu’elle doit gérer.
Son tour vient. Elle se sent à présent mal à l’aise. Mais partir sans commander une boisson chaude réconfortante lui serait très dur pour le moral. Elle commande un chocolat chaud. Et en comptant sa monnaie, se rend compte qu’elle n’a pas assez pour une part de pain d’épice. Son moral chute à cette idée, et la déception, couplée à la fatigue d’être au milieu de tant de gens, commence à la faire paniquer. Alors qu’elle se prépare à renoncer tristement à sa part de gâteau, une voix se fait entendre à côté d’elle.
“Est-ce que je peux aider ?”
La voix est douce. Chaleureuse. Réconfortante.
C’est inhabituel. Mais des années de méfiance ont appris à Anaïs à ne pas se réjouir trop vite.
Elle répond de manière rapide.
“Non, merci, ça ira, tout va bien.”
La réponse ne se fait pas attendre.
“J’aimerais pouvoir vous offrir la part de pain d’épice. Si vous m’y autorisez. Je n’attend rien en retour. C’est mon geste généreux de la journée.”
L’attention d’Anaïs se porte à présent sur la personne et sa proposition. Elle a appris à être méfiante, mais l’offre est respectueuse et alléchante. Une part de gâteau, exceptionnellement, pour compléter sa journée ! Au fond d’elle, Lily parait d’un calme limpide et inhabituel. Cela finit de la convaincre.
Anaïs accepte donc et bientôt se retrouve en possession d’un chocolat chaud appétant, malheureusement dans un verre en plastique qui peine à retenir de lui brûler les doigts. Et avec ça, une part de pain d’épice encore tiède, enroulée dans une petite serviette en papier aux motifs de Noël. Elle passe maladroitement le sac d’emplettes sur son épaule, faisant en sorte de bien caler l’affiche pour qu’elle ne tombe pas. C’est trop important. Elle se tourne enfin vers son bienfaiteur et l’observe un peu plus attentivement.
Une apparence qui se fait féminine, un visage rond et chaleureux, aux joues maculées de tâches de rousseurs. Grande, plus qu’Anaïs. C’est rare. Des cheveux cuivrés et brillants, aux reflets dorés, noués en une longue tresse qui descend jusqu’au bas du dos. Une tenue qui consiste en un long manteau fermé jusqu’au col et d’un pantalon qui se termine dans de hautes bottes noires. Le tout est d’un bleu de nuit, recouvert de motifs blancs et dorés semblables à des serpents ondulant au moindre mouvement. Ce qui dénote le plus cependant, c’est un regard profond aux yeux azur, accueillant et intimidant dans le même temps.
La nouvelle présence est chaleureuse, au point de faire oublier la peur qui s’instaurait avec l’ambiance bruyante et mouvementée. Comme si les bruits et mouvements extérieurs étaient à présent calfeutrés, glissant sans conséquence sur la conscience d’Anaïs avant de disparaitre sans faire de remous. Inconsciemment, son attention se dirige entièrement sur l’inconnu-e. Enfin presque entièrement. Elle reste extrêmement concentrée sur le verre de chocolat chaud dans la main gauche, et la part de gâteau dans sa main droite. Le monde pouvait s’effacer, mais pas son envie de profiter de ces quelques plaisirs doux et sucrés. Finalement, elle se reprend et exprime sa gratitude.
“Je… euh.. merci. Merci, oui, beaucoup.
-Heureuse d’avoir pu aider. Ça avait l’air important.”
Anaïs essaye de reprendre le cours de ses pensées. Sans succès. L’inconnue aux yeux bleus perçants continue de la fixer. Cela la mettrait mal à l’aise si elle était encore capable de formuler des pensées cohérentes. Pour l’instant, se poser, pour boire le gâteau et manger le chocolat chaud. Quelque chose comme ça. Elle se rend finalement compte que l’inconnue à beau la fixer en souriant, elle-même n’a pas détourné le regard une seule fois. Ni cillé, très possiblement. Au final c’est son interlocutrice qui reprend la parole, la voix remplie d’assurance, presque impérieuse.
“Le froid a l’air de vous déranger. Le bruit aussi. Je connais un petit bar près d’ici où l’on pourrait se poser pour discuter et faire connaissance, si vous le désirez, Anaïs.”
Confuse, Anaïs n’arrive pas à formuler de réponse claire. Elle hoche la tête. Elles commencent à marcher. Lily est d’un calme exceptionnel. Une situation comme ça n’arrive jamais. Comment, pourquoi ? Soudain, la torpeur se brise partiellement et la jeune femme se reprend. Deux choses. Qui est-elle ? Qui est cette inconnue capable de la charmer en quelques sourires et un regard ? Et aussi… un bar ? Des souvenirs embrumés lui reviennent. De mauvais souvenirs.
L’inconnue se retourne et lui sourit. Des yeux plus profonds que le plus abyssal des océans, sur un visage atypique, constellé et souriant. Capable soit de lire dans les pensées soit de décrypter la peur fugace qui transparait sur le visage d’Anaïs, elle s’exprime d’elle-même. D’une voix posée qui apaise immédiatement Anaïs, avant même que cette dernière ne comprenne les mots.
“Le bar est accueillant, acceptant, calme et sans danger.
Vous y serez à votre aise, et il y fera meilleur qu’ici.
Quand à mon nom, on m’appelle souvent Frigg.”
Sur ces dernières paroles, Anaïs se retrouve une nouvelle fois plongée dans une douce chaleur, le poids du sac de livres sur l’épaule, l’odeur du chocolat et du gâteau seuls vestiges du monde physique. Les bruits et même le froid semblent disparaître. Elles reprennent le chemin, reviennent près de la rue piétonne, puis bifurquent. Le reste du chemin, Anaïs ne le mémorise aucunement, trop captivée par l’inconnue qui la guide.
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